Santé en contrebande : quand la misère avale ses pilules
- La Plume Acerbe
- 19 févr.
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 févr.
Chronique Express
1,8 tonne de médicaments contrefaits saisis près d’Aboisso, soigneusement dissimulés sous du manioc.
Comme une ironie cruelle : la nourriture au-dessus, le poison en dessous.
Le trafic était bien rodé, le scénario bien connu. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que la police tombe sur un chargement de ce type. On exhibera fièrement la saisie, on filmera les comprimés réduits en cendres, on applaudit la lutte contre ce fléau.
Mais derrière la mise en scène, que reste-t-il ?
Un réseau démantelé ?
Une menace éradiquée ?
Rien de tout ça. Seulement un effet d’annonce, pendant que d’autres stocks, venus d’autres routes, poursuivent leur chemin.
Car le vrai problème est ailleurs.
Dans le marché informel, qui ne connaît jamais la pénurie.
Dans ces quartiers où une pharmacie est un luxe et où le « tonton des médicaments » est une institution.
Qui n’a jamais vu ces vendeurs ambulants proposer, entre deux brosses à dents et des paquets de chewing-gum, des plaquettes de comprimés de provenance incertaine ?
Qui n’a jamais entendu quelqu’un dire : « C’est pareil que la pharmacie, mais c’est moins cher » ?
On pourrait s’étonner d’un tel aveuglement, mais la réalité est plus cruelle : ces médicaments frauduleux sont parfois la seule option.
L’alternative ? Une consultation dans un hôpital public surchargé, où le diagnostic est souvent hasardeux et les médicaments hors de prix. Une visite dans une clinique privée, où l’addition est salée avant même d’avoir vu un médecin. Une prescription que personne ne peut se permettre, à moins de rogner sur le repas du soir.
Dans ce contexte, la pharmacie du bord du goudron devient une solution de survie, un pis-aller que l’on prend faute de mieux.
Alors bien sûr, le gouvernement mène des opérations coup de poing. Il saisit des tonnes de médicaments, il condamne ces trafics, il organise des autodafés de faux comprimés pour prouver sa fermeté.
Mais si l’on brûle l’offre sans s’attaquer aux raisons qui la font prospérer, que change-t-on réellement ?
L’enjeu dépasse la simple répression : il s’agit de comprendre pourquoi ces faux médicaments trouvent preneurs, pourquoi ils circulent si facilement, pourquoi ce business est aussi rentable.
On peut bien accuser les trafiquants, pointer du doigt ces vendeurs à la sauvette qui jouent avec la vie des autres.
Mais peut-on vraiment leur attribuer toute la responsabilité ?
Après tout, ils ne font que répondre à un besoin.
Un besoin né d’un système de santé où l’accès aux soins est une épreuve, où la prévention est inexistante, où la santé est un luxe que beaucoup ne peuvent pas se permettre.
Et tant que cette réalité ne changera pas, on pourra saisir 1,8 tonne de médicaments contrefaits aujourd’hui, en brûler 3 tonnes demain, en confisquer 10 tonnes dans un an… Rien ne s’arrêtera.
Parce que le problème n’est pas dans les cargaisons, il est dans un pays où des millions de personnes sont obligées de choisir entre soigner leur corps ou préserver leur portefeuille.
Tant que la santé ne sera pas un droit accessible à tous, la mort continuera d’être vendue au marché, entre deux sachets de manioc.
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