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Le crédit immobilier, ou l'art de transformer un rêve en cauchemar financier - Partie 1

  • Photo du rédacteur: La Plume Acerbe
    La Plume Acerbe
  • 16 févr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 févr.

Les Carnets du débiteur : Chroniques d'une spoliation organisée


 

Samedi, 10h30, agence bancaire de Cocody.

Marie, cette mère courage que nous avions laissée dans l'attente interminable des gbaka, franchit aujourd'hui les portes climatisées de sa banque. Non pas pour le rituel mensuel du retrait d’espèces pour son loyer, mais portée par une ambition plus haute : celle de devenir propriétaire. Un rêve né un soir de fin de mois, alors que ses doigts hésitaient sur les quatre billets totalisant 35.000 FCFA et destinés à son propriétaire d'Abobo. Cinq années de loyers versés, cinq années à enrichir le patrimoine d'un autre.

« Et si ces versements construisaient plutôt mon avenir ? » s'était-elle dit.


Face à elle, le conseiller bancaire manie sa calculatrice avec la précision chirurgicale de ceux qui dissèquent les rêves en colonnes de chiffres.

Le diagnostic tombe : avec son salaire de 120.000 FCFA mensuel, les sacro-saints ratios bancaires lui permettent de consacrer 40.000 FCFA mensuels au remboursement d'un crédit. Aux taux actuels de 8,5% sur 20 ans, sa capacité d'emprunt plafonne à 4 millions de FCFA - une somme qui, dans l'Abidjan de 2024, ne permettrait même pas d'acquérir un studio dans les quartiers les plus modestes.


« Il existe bien le programme de logements sociaux », glisse le conseiller, déclenchant une lueur d'espoir dans les yeux de Marie. Les publicités gouvernementales vantant des maisons à 5 millions de FCFA lui reviennent en mémoire.

« Ah, ça c'était en 2010, au lancement du programme », rectifie le banquier avec un sourire désabusé. « En 2015, nous étions déjà à 12-15 millions. Aujourd'hui, le plus modeste des logements 'sociaux' s'affiche à 20 millions... »


L'exposé se poursuit, implacable.

Pour un crédit de 20 millions - le nouveau « prix social » - la garantie hypothécaire exigerait 400.000 FCFA, soit 2% du montant. Une somme qui n'inclut ni les frais d'actes notariés, ni les taxes associées.

Plus de trois mois de salaire, uniquement pour le droit d'emprunter, avant même d'entrevoir la première pierre de cette hypothétique maison.


« D'autres options existent », poursuit le conseiller devant sa mine déconfite.

Le privilège de prêteur de deniers ?

« Plus économique que l'hypothèque car exonéré de la taxe de publicité foncière, mais inapplicable aux biens en construction » - qui représentent justement l'essentiel du programme social.

La caution ?

« Plus accessible en apparence, mais encore faut-il convaincre un organisme de garantie, moyennant bien sûr sa propre commission. »

Chaque « solution » dévoile son cortège de coûts dissimulés, de conditions restrictives, de paperasserie kafkaïenne. L'assurance-crédit « indispensable », les frais de dossier à 0,5% du montant emprunté, les timbres fiscaux, les frais d'étude...

Un empilement méthodique qui transforme les 20 millions initiaux en une montagne de dette toujours plus vertigineuse.


Dans l'esprit de Marie, les calculs tournent en boucle.

Même avec le taux « préférentiel » de 5,5% réservé aux logements sociaux - contre 8,5% à 11% pour les prêts classiques - la réalité mathématique reste implacable.

Pour un logement « social » à 20 millions sur 25 ans, les mensualités atteindraient 122.000 FCFA - dépassant son salaire mensuel de 120.000 FCFA. Au terme de ce marathon financier, elle aura versé près de 37 millions à la banque.

Le double du prix initial, sans compter qu'il faudrait aussi se nourrir, se soigner, éduquer les enfants pendant ce quart de siècle d'endettement.

L'arithmétique révèle une vérité brutale : acquérir un logement « social » à 20 millions exige en réalité d'en payer deux. Le premier pour le constructeur, le second pour la banque.

Et l'on ose encore qualifier cela de « social » - une appellation qui devient une cruelle ironie quand on réalise qu'il faut gagner au minimum 400.000 FCFA mensuels pour y prétendre. Soit plus de trois fois le salaire de Marie, et plus de cinq fois le SMIG ivoirien de 75.000 FCFA.


Au terme de deux heures d'entretien, le verdict tombe : non seulement Marie ne peut pas emprunter les 20 millions nécessaires pour un logement « social », mais même les 4 millions correspondant à sa capacité d'emprunt théorique restent un mirage.

Le conseiller, dans un dernier élan de « créativité bancaire », suggère des « alternatives ».

« Vous pourriez regarder du côté de Bingerville, ou même plus loin, vers Grand-Bassam... » La voix se veut encourageante, mais le sous-texte est clair : pour espérer devenir propriétaire, Marie devrait d'abord s'exiler d'Abidjan.

Une « solution » qui ne fait qu'ajouter de la précarité à la précarité.

Depuis Abobo, Marie consacre déjà trois heures par jour dans les transports, jonglant entre gbaka surchargés et marches forcées. Son réveil sonne à 4h30 pour espérer être à l'heure à son poste de caissière. S'éloigner davantage ? C'est risquer de perdre son emploi, son seul point d'ancrage dans l'économie formelle.


Marie quitte l'agence avec cette amère sensation que le système ne lui laisse que deux options : continuer à enrichir son propriétaire à Abobo, ou s'exiler aux confins d'une ville qui repousse toujours plus loin ceux qui la font vivre.

Une équation impossible qui résume à elle seule l'absurdité d'un système où le « social » exclut précisément ceux qu'il prétend aider.


Mais ce n’est là que la surface d’une mécanique bien plus complexe. Une logique froide et implacable, où l’arithmétique bancaire redessine notre société.


À suivre…



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