La facture à venir : qui paiera l'addition du métro ? - Partie 2
- La Plume Acerbe
- 9 févr.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 févr.
#4 Le métro du mépris : Chroniques d'une ville à deux vitesses
Le contribuable ivoirien paie déjà bien assez.
Chaque mois, chaque semaine, chaque jour, il est sollicité, sans jamais avoir une idée précise de l’utilisation de ses contributions.
Où va réellement cet argent ?
On parle de milliards collectés, mais la transparence sur l’affectation des recettes fiscales est inexistante. Cette opacité ne fait qu'alimenter la défiance.
Les citoyens voient des milliards annoncés et promis, mais dans leur quotidien, rien ne change. Cela mine la confiance dans les projets publics.
On se retrouve face à un mur de silence, où la communication est unilatérale : payez vos taxes, ne posez pas de questions.
Et si ces taxes ne sont pas directement affectées au remboursement du métro, contribueront-elles au moins à des projets essentiels pour la population ? (sûrement pas)
Il s’agit ici de priorités :
Est-ce que ces milliards seront investis pour améliorer l’éducation, rénover des écoles qui tombent en ruines, ou pour assurer que chaque enfant ait accès à une classe décente ?
Serviront-ils à rénover les infrastructures de santé, où les équipements datent d’un autre âge, et où le personnel est sous-payé et débordé ?
Ou encore, cet argent sera-t-il investi dans des services publics qui profitent réellement aux citoyens, qui leur facilitent la vie au quotidien ?
Malheureusement, on sait trop bien comment ces fonds finissent : dilués dans des projets mal définis, absorbés par des réseaux d’intérêts particuliers, détournés dans un silence presque complice.
C’est tout le paradoxe de la fiscalité en Côte d’Ivoire : on sait combien on paie, mais on n’a jamais vraiment de réponse sur ce que cet argent devient, à quoi il est censé servir.
Enfin, même si ces taxes ne sont pas spécifiquement affectées au métro, certains défendront ce type de projet en affirmant qu'il transcende la rentabilité immédiate.
On nous parlera de développement, de l’image de la Côte d'Ivoire en tant que nation moderne, d'un futur où cette infrastructure deviendra un levier économique, social, et culturel, au-delà des simples calculs comptables.
On nous dira que la rentabilité financière n’est qu’une considération secondaire face à l’impératif de développement et d’élévation nationale.
Oui, cela pourrait faire rêver.
Mais encore une fois, on nous vend un idéal sans jamais vraiment le démontrer.
Car là encore, il est essentiel de définir ce qu’on entend par « développement ».
Pour qui est-il réellement conçu ?
Est-il pensé pour la majorité des Ivoiriens, ceux qui vivent à Abobo, à Yopougon, dans des quartiers où les routes sont défoncées, où les services de base font défaut, où l'accès à un emploi stable est un mirage ? Est-ce que ces gens-là, ceux qui forment l’essence même de cette nation, ressentiront l’impact de ce « développement » ?
Ou est-il simplement destiné à servir de vitrine, un symbole de modernité pour les quartiers riches, une infrastructure clinquante qui sera essentiellement réservée à une élite qui ne prendra jamais ce métro ?
Si le développement est véritablement l’objectif, alors encore faut-il qu’il soit partagé.
Un développement qui n’est accessible qu’à une poignée de privilégiés n’est pas un développement : c’est une illusion, un écran de fumée.
Et tant que les fondations ne seront pas repensées, tant qu'on se contentera d'embellir la façade sans renforcer la structure, tout ce qui sera construit ne tiendra pas face à l’épreuve du temps.
Le développement n’est pas une question de béton ou de rails, il est avant tout une question de justice sociale, d’égalité des chances, d'inclusion réelle.
Qu’on cesse de parler de « progrès » si ce progrès ne touche pas le cœur de la population, si ce progrès ne fait que nourrir les intérêts de quelques-uns tout en laissant la majorité de côté. C’est ce qu’il faut interroger, c’est ce qu’il faut redéfinir.
Pour qui construisons-nous ce futur ?
Est-ce pour les citoyens qui travaillent dur chaque jour, qui aspirent simplement à une vie meilleure, ou
Est-ce pour le prestige de quelques-uns, pour des photos sur du papier glacé, pour des inaugurations où les sourires cachent mal l'absence de profondeur ?
La question fondamentale qui reste alors est : pourquoi la transparence est-elle si difficile à obtenir ?
Pourquoi l’État, qui se veut l’architecte du développement de la nation, semble-t-il toujours si prompt à dissimuler les chiffres, à émettre des promesses vagues, à esquiver les questions pourtant légitimes de la population ?
C’est bien plus qu'une simple absence de communication. C’est le reflet d'une absence de redevabilité.
Un projet comme le métro devrait être l'occasion d'un dialogue national :
Pourquoi n’a-t-on jamais demandé aux citoyens ce qu’ils voulaient ?
Pourquoi n’y a-t-il pas eu de consultations publiques, d'explications détaillées sur le financement, les risques, les retombées escomptées ?
Parce que ce manque de transparence n'est pas une erreur, c'est un choix.
Ce choix d’avancer, coûte que coûte, dans un projet imposé d’en haut, en tenant à l'écart ceux qui en porteront la charge financière et sociale.
Le citoyen n’est plus un acteur du développement ; il devient un contributeur passif, prié de payer sans poser de questions.
Cette attitude paternaliste n'est que la continuité de cette longue histoire de domination consentie, où l’on camoufle les vérités derrière des façades de modernité pour mieux maintenir les déséquilibres.
Ce manque de transparence se traduit concrètement par une opacité financière : les citoyens ne savent rien des termes exacts de ce prêt colossal.
À quel taux d'intérêt la Côte d'Ivoire a-t-elle emprunté ?
Quels sont les risques associés à ce financement ?
Et surtout, quelles sont les conséquences potentielles sur les finances publiques si les recettes du métro ne sont pas à la hauteur des prévisions ?
La question est de savoir si l'État dispose d’un plan de contingence, si des garanties ont été mises en place pour limiter les risques.
Ou bien, est-ce que ce projet a été conçu dans une logique de « tout ou rien », en pariant uniquement sur une hypothétique rentabilité future ?
Cette absence de visibilité fragilise non seulement la crédibilité de l'État, mais aussi l'adhésion des citoyens à un projet qui, pourtant, devrait être le leur.
Les conséquences fiscales potentielles sont également à analyser.
En l'absence de transparence, il est difficile d'estimer si les contribuables devront supporter de nouvelles taxes pour couvrir les éventuels déficits d’exploitation. S’il s’avère que les recettes générées par le métro sont insuffisantes pour couvrir les coûts de remboursement, il est tout à fait possible que l’État augmente les impôts ou introduise de nouvelles contributions.
Le problème, c’est que la pression fiscale est déjà très lourde pour la majorité des Ivoiriens, avec des tranches d’imposition qui commencent à des taux relativement élevés par rapport aux salaires moyens du pays.
Une augmentation des prélèvements pourrait non seulement nuire au pouvoir d'achat, mais également à l’économie informelle, en poussant davantage de citoyens à éviter toute déclaration fiscale.
Enfin, au-delà des chiffres, l’enjeu principal réside dans la priorisation des dépenses publiques.
Pourquoi investir des milliards dans un projet de métro au lieu de privilégier des initiatives plus accessibles et adaptées aux besoins actuels de la population comme un réseau de bus modernisé, des routes rénovées ou même une amélioration des gbakas qui desservent déjà une grande partie de la ville ?
Certes, un métro est plus prestigieux, plus visible. Mais quand on regarde l'impact réel sur la qualité de vie de la majorité des Ivoiriens, on peut se demander si ce choix est le plus judicieux. La modernité ne se mesure pas au prestige des infrastructures, mais à la capacité d'un État à répondre aux besoins réels de sa population.
L'absence de consultation des citoyens montre bien que ce projet a été conçu sans une véritable vision participative.
Le développement doit être pensé pour inclure la population à chaque étape, pas seulement pour être imposé comme un fait accompli.
Le citoyen devrait être informé, consulté, et surtout, ses préoccupations devraient être prises en compte dans le cadre de projets d'une telle ampleur.
Car sans cette adhésion, sans cette transparence, ce qui aurait pu être un symbole d’espoir se transforme en une source d'amertume et de méfiance.
En réalité, ce qui est le plus troublant n’est peut-être pas la nature du projet lui-même, mais notre résignation face à l'absurde.
Comment avons-nous pu accepter qu'une infrastructure de transport public, financée par tous, soit hors de portée pour ceux qui en ont le plus besoin ?
Par quel tour de force idéologique avons-nous intégré l'idée que ces « solutions » apportent plus de problèmes que de réponses ?
En attendant, Marie, notre caissière d'Abobo, continuera de compter ses pièces pour son transport quotidien.
Et pendant qu'elle calculera si elle peut se permettre un ticket de métro, d'autres calculeront les intérêts de la dette qui finance ce même métro.
Une dette qui, comme le métro lui-même, passera chaque jour devant sa porte sans jamais vraiment s'arrêter pour elle.
À suivre...
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