La facture à venir : qui paiera l'addition du métro ? - Partie 1
- La Plume Acerbe
- 2 févr.
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 févr.
#4 Le métro du mépris : Chroniques d'une ville à deux vitesses
La France nous promet 4 milliards d'euros de « développement ».
Une manne providentielle dont le métro n'est qu'une composante - les autres projets mériteront leur propre série de chroniques tant ils illustrent, avec une fascinante régularité, l'art délicat de transformer l'aide au développement en dette perpétuelle.
Concentrons-nous aujourd'hui sur l'arithmétique ahurissante de notre futur métro : 1166 milliards de francs CFA. Un chiffre qui, dans son abstraction même, perd toute signification pour le commun des mortels.
Traduisons-le en réalité humaine : il faudrait qu'un professeur d'université ivoirien, avec son salaire de 800.000 FCFA mensuel, travaille 121.458 mois - soit plus de 10.000 ans - pour rembourser ne serait-ce que le coût initial.
Sans les intérêts, bien sûr.
Sans l'exploitation, évidemment.
Sans la maintenance, naturellement.
L'illusion des revenus
Faisons maintenant un calcul plus concret : selon les estimations de l'ancien ministre Justin Katinan Koné, le ticket minimum coûterait 137,58 FCFA - soit déjà 37% plus cher qu'un trajet en gbaka entre Abobo et Adjamé aux heures creuses. Avec l'objectif affiché de 540.000 voyageurs quotidiens, les recettes de billetterie atteindraient à peine 27,1 milliards de FCFA par an.
Une somme qui ne représente que 2,3% du coût initial du projet.
On nous promet, bien sûr, d'autres sources de revenus : les espaces commerciaux dans les 18 stations, les surfaces publicitaires dans les rames et les stations.
Un potentiel commercial qui sera géré par qui ? Par la Société des Transports Abidjanais sur Rail (STAR). Un nom à consonance locale qui masque une réalité plus subtile : un consortium entièrement français. Bouygues pour construire, Colas Rail pour les voies, Alstom pour les rames, Keolis pour l'exploitation.
Le génie du système atteint ici son paroxysme : nous empruntons à la France pour payer des entreprises françaises qui géreront ensuite les revenus générés par cette infrastructure que nous devrons rembourser.
Une boucle parfaite où chaque franc CFA de recette transitera par des mains françaises avant d'être « partagé » selon des accords de concession dont la transparence n'a d'égale que l'opacité de nos dettes.
Écartons momentanément les 27,1 milliards de recettes annuelles espérées. Ce chiffre, déjà dérisoire, masque une réalité bien plus inquiétante : celle d'une dette tentaculaire dont le montant initial n'est que le prélude. Derrière les annonces de rentabilité, se cache une série de coûts à long terme qui s’accumulent insidieusement, et qui pèseront lourdement sur plusieurs générations.
Faisons un exercice de projection financière glacial.
Le coût initial du projet de métro d'Abidjan s’élève à 1166 milliards de FCFA.
À ce montant, nous devons ajouter des intérêts sur une période de remboursement d’au moins 30 ans. Les taux d’intérêt des prêts pour les pays d’Afrique subsaharienne varient entre 3 et 6 %, en fonction de la notation de crédit et du risque perçu par les créanciers internationaux (FMI, 2023). Prenons un taux moyen de 4 % pour nos projections. Avec un emprunt de 1166 milliards de FCFA sur 30 ans, à un taux de 4 %, nous aboutissons à des paiements d’intérêts qui pourraient atteindre environ 1400 milliards de FCFA au total. Ce montant vient s’ajouter au principal, ce qui porte le coût global du projet à 2566 milliards de FCFA, soit plus du double du coût initialement prévu. Ce chiffre ne représente même pas les autres coûts associés.
En effet, il faut également intégrer les coûts de maintenance. En général, pour des infrastructures de transport de cette envergure, les coûts de maintenance annuelle représentent entre 1,5 % et 2 % du coût d’investissement initial… cela signifie des coûts de maintenance annuels allant de 17,5 à 23 milliards de FCFA. Sur 30 ans, ces coûts se situeront donc entre 525 et 690 milliards de FCFA supplémentaires.
De plus, le matériel roulant, c'est-à-dire les rames de métro, doit être renouvelé tous les 15 à 20 ans. En moyenne, ce renouvellement représente environ 30 % du coût initial de construction. Pour notre métro, cela équivaut à environ 350 milliards de FCFA tous les 20 ans. Sur une période de 30 ans, ce coût de renouvellement viendra s’ajouter au reste, portant la facture à environ 700 milliards de FCFA pour deux cycles de renouvellement.
En additionnant tous ces coûts sur une période de 30 ans, la facture du métro d'Abidjan devient vertigineuse, culminant à près de 4000 milliards de FCFA.
Pour mettre ce chiffre en perspective, le Bus Rapid Transit (BRT) du Sénégal a coûté environ 300 milliards de FCFA — soit plus de dix fois moins que le métro d’Abidjan. Et pourtant, le BRT couvre une grande partie de Dakar, offrant un service de transport moderne, accessible, et adapté aux besoins des citoyens.
Avec un prêt moins élevé, nous aurions pu financer un réseau de bus moderne et efficace. Soit, gardons cette idée de côté pour l'instant.
Je sais que beaucoup d'entre vous se demanderont : qu'aurions-nous pu faire avec la différence de 3700 milliards de FCFA ? Je vous comprends, j'ai moi-même été tenté de me poser la même question.
Mais n'oublions pas : c'est un prêt.
La vraie question est de savoir ce que nous pourrions faire avec cet argent qui ne nous appartient pas, mais surtout : qui paiera vraiment pour ce métro ?
D'abord, il y a les contribuables actuels.
Avec le système d'imposition en Côte d'Ivoire, on peut se demander si les contribuables doivent véritablement s'inquiéter. Par exemple, l'impôt sur le revenu commence à 16 % pour les revenus à partir de 75 001 FCFA par mois. Pour beaucoup, avec un coût de la vie élevé, ce taux peut sembler être de l’extorsion, d'autant plus qu'il incite nombre de travailleurs à rester dans l'informel, sans déclaration officielle de leurs revenus.
Certes, une partie des recettes fiscales est perdue dans ce secteur informel, mais peut-être que si les citoyens savaient réellement et en toute transparence où partait leur argent, ils seraient plus enclins à cotiser. À méditer…
Ensuite, il y a toutes ces taxes et timbres qui existent partout dans le pays, autant de petites contributions qui finissent par peser lourd sur le quotidien.
Chaque fois que vous achetez quelque chose, la TVA vient grignoter un peu plus de votre budget.
À chaque passage à la pompe, les taxes sur les produits pétroliers font grimper la facture.
Importer un produit ? Vous paierez encore des droits de douane.
Besoin d'un papier administratif, d’un passeport, d’un permis de conduire ? Les timbres fiscaux s'ajoutent à la liste.
Tout cela est payé sans débat, presque comme une fatalité. C’est une évidence, une routine bien ancrée : le contribuable ivoirien paie, point.
Mais la véritable question est : toutes ces taxes, ces prélèvements, serviront-ils au remboursement du métro ?
Ou ces sommes finiront-elles par disparaître dans des projets dont personne ne connaît la finalité, laissant la charge de cette infrastructure retomber sur d'autres formes de financement tout aussi opaques ?
À vous de tirer vos propres conclusions… en attendant la suite.
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