L’orpaillage clandestin : un jackpot pour les uns, un désastre pour les autres
- La Plume Acerbe
- 26 janv.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 févr.
À Toulépleu, Kouadio creuse la terre.
Avec une pelle rouillée et des mains pleines de boue, il sait pertinemment que l’or qu’il trouvera – si jamais il en trouve – ne lui apportera ni richesse, ni gloire.
Cet or n’est pas pour lui.
Il est pour les intermédiaires, les réseaux bien organisés, et, au bout de la chaîne, les poches profondes de quelques élites bien à l’abri des regards. Pendant ce temps, à Abidjan, dans les bureaux climatisés, on parle de répression et de "tolérance zéro".
Mais Kouadio, lui, ne voit rien venir à part la faim et l’épuisement.
1 098 sites d’orpaillage clandestin. 24 000 orpailleurs. 3 000 milliards de FCFA qui s’évaporent chaque année, comme un mauvais sort jeté sur le pays.
Et l’État regarde tout cela avec une passivité déconcertante, comme s’il s’agissait d’une fatalité inscrite dans le destin de la Côte d’Ivoire. Pourtant, cette richesse appartient à tous, mais seuls quelques-uns en profitent. Les pelles creusent, le mercure empoisonne les rivières, les forêts tombent, et les villages s’enfoncent dans une misère encore plus profonde.
Mais l’or n’est pas le seul à fuir la Côte d’Ivoire.
Il y a aussi le cacao, notre or brun, celui qui devrait être la fierté de notre économie, mais qui, lui aussi, échappe au contrôle. Les producteurs, essorés par des prix dérisoires et des charges toujours plus lourdes, se tournent vers des acheteurs informels, souvent venus des pays voisins, où ils espèrent arracher quelques francs de plus pour leur récolte.
Ce n’est pas de la "contrebande", c’est de la survie.
Comment leur en vouloir ? Lorsqu’on ne peut pas vivre décemment de ce que l’on produit, on finit par tout perdre : la terre, la dignité, et parfois même l’espoir.
Le cacao et l’or ne sont pas simplement deux richesses qui fuient. Ils incarnent un même système d’exploitation, une même injustice structurelle.
Prenons le cacao : depuis des décennies, les multinationales dictent leurs règles, fixent des prix dérisoires et réduisent les producteurs à de simples exécutants d’une chaîne mondiale dont ils ne contrôlent rien.
L’État, qui devrait protéger ces paysans, est aux abonnés absents.
Pas d’infrastructures pour stocker ou transformer localement, pas d’accompagnement pour stabiliser les prix. Et dans ce vide laissé par les autorités, les paysans n’ont d’autre choix que de chercher des solutions immédiates. Alors, certains se tournent vers les acheteurs informels pour le cacao. D’autres, encore plus désespérés, échangent leur houe contre une pelle pour creuser la terre à la recherche d’or.
C’est la même logique : survivre dans un système qui les méprise.
Et les multinationales dans tout ça ?
Elles affichent de beaux logos écoresponsables et parlent de "cacao durable", tout en maintenant une pression infernale sur les petits producteurs. Mais elles ne sont pas seules dans ce jeu cynique.
L’orpaillage clandestin, lui aussi, répond à une demande internationale.
Cet or qui sort illégalement de la Côte d’Ivoire, où finit-il ? Dans les circuits opaques de l’industrie mondiale. Les bijouteries de luxe, les investisseurs avides de matières premières, et même certains pays complices ferment les yeux sur l’origine douteuse de cet or, tant qu’il continue à briller dans leurs vitrines.
Alors, oui, l’orpaillage clandestin est un fléau.
Mais peut-on réellement le combattre en ignorant les marchés internationaux qui l’encouragent ?
Pendant ce temps, Kouadio continue de creuser.
Pas parce qu’il le veut, mais parce qu’il n’a pas le choix.
Comme des milliers d’Ivoiriens dans les zones rurales, il est prisonnier d’une pauvreté qui l’empêche d’accéder à un avenir meilleur.
À Toulépleu, comme dans d’autres régions, beaucoup de routes sont impraticables, les écoles insuffisantes, les centres de santé publics quasi inexistants. Les jeunes, sans perspectives, sont abandonnés à eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une question d’or ou de cacao, mais d’un système qui a délaissé les campagnes au profit des villes.
Comment demander à ces populations de protéger l’environnement ou de respecter la loi quand elles n’ont même pas accès à l’essentiel ?
La répression est une réponse simpliste à un problème bien plus complexe.
Et pourtant, on nous parle de répression.
Avec le Groupement Spécial de Répression de l’Orpaillage Illégal (GS-LOI), l’État veut montrer ses muscles. Des gendarmes, des saisies, des satellites pour surveiller les zones minières. Impressionnant sur le papier, mais sur le terrain, les résultats sont bien moins glorieux.
Les pelles continuent de creuser. Les tonnes d’or continuent de disparaître.
Alors, qui est traqué ? Pas les vrais coupables, en tout cas. Pas les réseaux qui organisent l’exportation frauduleuse de cet or. Non, ce sont les Kouadio et leurs pelles qu’on pourchasse, pendant que les "grands" regardent ailleurs.
Et que dire de l’environnement ?
Chaque gramme d’or arraché à la terre coûte une rivière contaminée, une forêt rasée, une biodiversité anéantie. Les sols sont empoisonnés, et les terres agricoles deviennent inutilisables.
Mais qui se soucie de l’environnement quand les profits sont si rapides et si discrets ? Certainement pas ceux qui en tirent bénéfice.
Pourtant, le véritable trésor de la Côte d’Ivoire, ce n’est pas l’or ni même le cacao : ce sont ses terres, ses forêts, ses rivières.
Mais à ce rythme, il ne restera bientôt plus rien à protéger.
Alors, quelles solutions ?
On pourrait parler de régulation, de zones d’orpaillage légal, de programmes pour intégrer ces orpailleurs dans un système durable. On pourrait aussi exiger plus de transparence des multinationales et des acheteurs internationaux pour mettre fin à ce pillage organisé.
Mais soyons honnêtes : tout cela demande une volonté politique qui fait cruellement défaut. Pourquoi résoudre un problème quand on peut simplement le gérer de manière superficielle ?
La répression est une belle façade, mais elle ne s’attaque pas aux racines du mal : la pauvreté, l’absence d’opportunités économiques, et les complicités dans les hautes sphères.
Et pendant ce temps, le cacao continue de fuir, les orpailleurs continuent de creuser, et la Côte d’Ivoire continue de s’appauvrir.
En attendant, Kouadio creuse.
Pas pour devenir riche, mais pour ne pas mourir pauvre.
Et c’est là tout le drame. L’or de la Côte d’Ivoire ne brille pas pour ses habitants. Il disparaît, encore et encore, dans des circuits opaques qui laissent la majorité dans l’obscurité. Et le cacao, autrefois notre fierté, suit le même chemin. La Côte d’Ivoire est en train de perdre ses richesses, et avec elles, son avenir.
L’or clandestin, ce n’est pas juste une pelle dans la terre. C’est une pelle dans la tombe de notre économie, de notre environnement, et de notre dignité.
Mais tant que les vrais coupables dormiront sur des matelas de billets, rien ne changera.
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