Frais et méfaits bancaires - Partie 3
- La Plume Acerbe
- 19 janv.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 févr.
Les Carnets du débiteur : Chroniques d'une spoliation organisée
Dans nos deux premières chroniques, nous avons levé le voile sur l’opacité bien huilée du système bancaire ivoirien.
De Monsieur K. et sa descente dans l’enfer des frais bancaires, à l’anatomie d’un modèle économique taillé sur mesure pour siphonner chaque franc, nous avons exploré les rouages d’une machine où chaque relevé de compte n’est pas une simple feuille, mais un véritable champ de bataille.
Aujourd’hui, il est temps d’achever cette trilogie en exposant les ramifications d’un système qui ne se contente pas d’asphyxier ses clients, mais menace également les fondements mêmes de notre développement économique.
Car ici, chaque article de loi, pourtant censé protéger le client, se mue en un alibi habilement manipulé pour maximiser les profits.
L’ignorance du client ? Pas une simple faille à combler, mais une ressource précieuse à exploiter avec méthode.
Ce détournement des règles n’a rien d’une maladresse ou d’un manque de moyens : c’est une stratégie mûrement réfléchie, érigée en pilier du modèle économique bancaire.
En Côte d’Ivoire, la légalité n’est pas bafouée par inadvertance ; elle est méticuleusement réinventée pour servir des intérêts bien éloignés de ceux des clients.
Car comment contester ce qu'on ne connaît pas ?
Comment comparer ce qui reste caché ?
On ne peut tout simplement pas, et c’est précisément le but : un système pensé pour être inattaquable, avec chaque information enterrée sous des couches de jargon administratif et des formalités interminables.
Et le régulateur, que fait-il ?
Ah, il se surpasse ! Il rédige des textes réglementaires, accumule les obligations d’information, les exigences de transparence, comme un artisan consciencieux qui construirait un château de cartes en pleine tempête.
Dernière trouvaille en date : la nouvelle instruction de 2024, repoussée à janvier 2025, histoire de « laisser le temps aux banques de s’organiser ».
Parce que, bien sûr, les pauvres banques sont débordées par l’idée même de la transparence.
Mais quand même le régulateur se met du côté de ceux qu'il est censé contrôler, que reste-t-il aux clients ? Rien, si ce n’est cette ingénierie du découragement soigneusement mise en place.
Une ingénierie qui ne se contente pas de compliquer l’accès à l’information, mais qui redéfinit le rapport même au service bancaire. Elle forge une nouvelle forme de rapport au service financier, où le client intériorise progressivement l'idée que la banque n'est pas un prestataire de services, mais une autorité dont les décisions ne se discutent pas - elles se subissent.
Dans ce contexte, le « service bancaire » prend une dimension presque orwellienne.
La banque ne vous sert pas - vous la servez.
Vous ne payez pas pour un service - vous vous acquittez d'un droit d'existence dans le système financier formel.
Une inversion des rôles d'autant plus pernicieuse qu'elle s'installe insidieusement, prélèvement après prélèvement, refus d'information après refus d'information.
Cette dynamique crée une forme particulière de darwinisme financier : seuls survivent ceux qui ont les moyens d'absorber des coûts qu'ils ne peuvent ni anticiper ni contester.
Les autres ?
Ils rejoignent les rangs des exclus bancaires, alimentant paradoxalement cette économie informelle que nos banques et nos autorités prétendent combattre.
Le comble de l'ironie : cette exclusion est ensuite présentée comme un choix culturel, une « résistance » à la modernité bancaire.
Plus insidieux encore est l'impact sur le développement économique lui-même.
Comment parler d'émergence économique quand l'outil bancaire, censé être le levier de cette émergence, devient un frein ?
Comment encourager l'entrepreneuriat quand l'accès aux services financiers de base relève du privilège ?
La banque, qui devrait être un accélérateur de développement, se transforme en gardienne d'un ordre économique où l'accès aux services financiers devient un marqueur social.
Le paradoxe atteint son comble quand on observe les conséquences sur l'épargne.
Dans un pays où la mobilisation de l'épargne nationale est un enjeu crucial, nos banques excellent surtout dans l'art de décourager cette épargne à coups de frais imprévisibles. Chaque franc épargné devient potentiellement une future proie pour une commission surgie de nulle part.
Peut-on vraiment dire que notre épargne est en sécurité dans ce contexte ?
Absolument pas.
Et c’est là tout le problème : cette incertitude est elle-même un frein à l'épargne.
Les clients savent bien qu'avec des frais arbitraires qui apparaissent sur n'importe quel autre service, rien ne garantit que leurs économies ne soient pas les prochaines victimes. Ce climat de méfiance est d’autant plus insidieux pour ceux qui comptent chaque FCFA – la majorité des gens, en somme – et transforme ce qui devrait être un filet de sécurité en une source permanente d’angoisse, à la merci des caprices bancaires.
Et pendant que les rapports sur l'inclusion financière s'empilent sur les bureaux, que les séminaires sur la « bancarisation » se multiplient dans les hôtels climatisés, une question fondamentale reste soigneusement évitée : à qui profite réellement ce système ?
La réponse se lit dans les rapports annuels de nos banques, ces chefs-d'œuvre d'autosatisfaction où la croissance des commissions est célébrée comme une prouesse, où l'augmentation du PNB justifie tout, même l'injustifiable.
Ces fameuses commissions ? Elles viennent bien sûr de cette clientèle qu'ils n'hésitent pas à mépriser, qu'ils renient dès qu'elle ose demander des comptes.
Quel culot de fêter ces « performances » financières en se servant de ceux qu'on traite ensuite comme des gêneurs. Un mépris si profondément ancré qu'il n'est plus une dérive : c'est devenu la méthode officielle, la recette de la rentabilité.
Pourquoi s'embêter à créer de la valeur quand on peut simplement la siphonner ?
Plus simple de multiplier les commissions sur une clientèle captive que de construire de véritables services financiers inclusifs.
Plus facile de maintenir l'opacité plutôt que de risquer l'innovation et la transparence.
Mais cette course au profit rapide a un prix.
À force de taxer chaque mouvement, d'écraser chaque tentative d'épargne, nos banques scient la branche sur laquelle elles sont assises.
Que reste-t-il à ponctionner quand la majorité de la population reste en marge du système bancaire ?
Quelle croissance espérer quand les clients se sentent plus démunis que servis ?
À ce rythme, l'inclusion financière devient un mirage, et l'on finit par célébrer des 'performances' sans avenir, bâties sur un terreau d'exclusion. La prospérité d'une banque ne peut pas se construire sur l'appauvrissement de ceux qu'elle est censée servir.
Et l'État, alors ?
Celui qui devrait être garant de l'équité se révèle complice actif, voire enthousiaste.
Plutôt que de réguler, il préfère participer au banquet des ponctions, la main tendue non pas pour protéger, mais pour récolter sa part.
Un « régulateur » qui ressemble davantage à un partenaire d'affaires des banques, plus préoccupé par sa part du butin que par la défense des intérêts des citoyens. Les discours de « modernisation » et de « développement économique » sont brandis avec fierté, mais la réalité est bien différente : l'État ne modernise pas, il monétise.
Prenons le fameux timbre fiscal de 100 FCFA sur les dépôts en espèces.
L'idée est tellement lumineuse qu'on se demande pourquoi ils ne songent pas à taxer l'air que l'on respire dans une agence. Vouloir épargner devient un acte suspect, bon à être surveillé et taxé, parce qu'après tout, quand il y a de l'argent à prendre, pourquoi l'État se gênerait-il ?
Ce partenariat décomplexé entre les banques et le régulateur ne laisse aucune illusion : l'inclusion financière est un prétexte, la vraie motivation est l'inclusion fiscale, et peu importe si cela dissuade les citoyens de faire confiance au système.
Une dernière pensée, alors que notre ami Monsieur K. contemple son relevé bancaire avec cette amertume devenue familière à tout Ivoirien.
Son café est maintenant froid, comme ses illusions sur un système bancaire au service du développement.
Dans sa tête germe déjà l'idée d'un projet immobilier - parce qu'il faut bien se loger, n'est-ce pas ? Il imagine déjà son banquier lui vanter les mérites du « prêt habitat », avec ce même sourire commercial qui accompagnait l'ouverture de son compte « Gold ».
Ce qu'il ne sait pas encore, c'est que cette ponction mensuelle qu'il découvre aujourd'hui n'est que le premier acte d'une pièce bien plus vaste.
Les frais bancaires ? Une simple mise en bouche, l'apéritif d'un festin où le client est à la fois convive et menu. Car si nos banques excellent dans l'art de transformer un compte courant en passoire à commissions, attendez de voir leur créativité quand il s'agit de crédit...
Mais ceci est une autre histoire, que nous explorerons dans une prochaine chronique : « Le crédit immobilier, ou l'art de transformer un rêve en cauchemar financier ».
En attendant, à vous qui lisez ces lignes : examinez votre relevé bancaire.
Faites vos propres additions.
Et demandez-vous, sincèrement : savez-vous réellement combien vous coûte le privilège d'être bancarisé en Côte d'Ivoire ?
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