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Frais et méfaits bancaires - Partie 2

  • Photo du rédacteur: La Plume Acerbe
    La Plume Acerbe
  • 12 janv.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 févr.

Les Carnets du débiteur : Chroniques d'une spoliation organisée


 

Les banques ivoiriennes, dans leur quête effrénée de construction de leur Produit Net Bancaire (PNB) - leur chiffre d'affaires en langage bancaire -, ont inventé une nouvelle branche des mathématiques financières : celle où la rentabilité est inversement proportionnelle à la compréhension du client.

Plus l'opération est obscure, plus elle est juteuse.

Le théorème est implacable : à chaque service « innovant » correspond une nouvelle série de prélèvements, suivant une progression géométrique que seuls les initiés peuvent anticiper.

Les frais se comportent comme des fractales bancaires, se reproduisant à l'infini dans chaque recoin du relevé. Chaque transaction devient le point de départ d’une nouvelle série de ponctions, un cycle sans fin qui ferait pâlir d'envie Fibonacci lui-même.


Ces frais, bien qu'individuellement modestes - 200 FCFA ici, 500 FCFA là -, constituent en réalité le cœur d’une stratégie aussi machiavélique qu’efficace. Leur caractère apparemment insignifiant est leur plus grande force : ils passent souvent sous le radar du client, qui les perçoit comme de simples désagréments.

Mais ces gouttes d’eau, isolément anodines, finissent par former un véritable océan de profits.

En somme, chaque client devient une vache à lait qui ne s’en rend compte qu’une fois sa réserve complètement tarie.

Et c’est là toute la beauté du système : l’effet d'accumulation.

Chaque petit montant, multiplié par des milliers, voire des millions de clients, se transforme en une rente confortable pour l’établissement.

Pendant ce temps, l’invisibilité de l’impact individuel masque la réalité d’un profit cumulé. Chaque frais devient un rouage essentiel d’une mécanique de rentabilité subtile, mais implacable. Le client, souvent par ignorance ou résignation, finit par accepter ces prélèvements, persuadé qu’ils sont inévitables.

Un chef-d'œuvre de manipulation économique.


C’est ainsi que, mois après mois, l’addition de ces petites sommes génère une dynamique de spoliation graduelle et normalisée, rendant chaque relevé un peu plus opaque, et chaque client un peu plus démuni.

Cette arithmétique créative pourrait presque passer pour de l’ingéniosité financière… à condition que le client en soit informé avant d'apposer sa signature sur le formulaire d'ouverture de compte.

Mais justement, là réside le nœud du problème : cette information, pourtant obligatoire, semble avoir la discrétion d’un fantôme.


Car c'est bien là que le système révèle sa véritable nature : dans le décalage vertigineux entre les obligations réglementaires et leur application.

Depuis 2002, l'UEMOA a pourtant posé un cadre d’une clarté mathématique.

  1. L'article 15 du Règlement BCEAO n°15/2002 exige une information claire et détaillée dès l'ouverture du compte.

  2. L'article 31 de la Décision n°397/12/2010 impose un affichage visible des conditions tarifaires.

  3. L'article 33 de la Décision n°397/12/2010 ordonne une transparence totale sur les commissions et charges. Un corpus réglementaire aussi précis que systématiquement ignoré.


En fait, il ne s'agit pas simplement d’un manque de ressources ou de négligence. Non, il s'agit d'un choix délibéré, celui de transformer des obligations légales en une comédie de façade.

Dans cette pièce absurde, tout est fait pour que la transparence ne soit qu’un mirage et que l’information, pourtant essentielle, reste enterrée sous des couches d'opacité.

Les banques ne sont pas simplement laxistes dans l’application des règles : elles en font une stratégie.

La violation des obligations réglementaires n’est plus une exception, c’est une norme tacite. Et cette sophistication dans l'art de contourner les lois confère à ce système un caractère profondément pernicieux.


Car ce n’est pas seulement un problème de conformité : c’est un modèle économique pensé et structuré autour de la transgression méthodique des règles.

La réglementation exige la transparence ? Les banques répondent par une opacité savamment orchestrée, où chaque tentative d’obtenir des explications devient un véritable parcours initiatique.

La BCEAO demande une information préalable ? Elles transforment cette simple requête en une quête digne des douze travaux d’Hercule. Mais au bout de ce parcours, ce n’est pas la toison d’or qu’on trouve, juste une fatigue extrême et une résignation silencieuse.


Le plus remarquable, c’est que cette gymnastique réglementaire n'est pas le fruit d’une maladresse ou d’une improvisation. Elle est minutieusement calculée.

Les banques ont développé une expertise particulière : celle de rendre des obligations légales limpides totalement incompréhensibles pour leurs clients. Chaque article de loi devient une matière première pour tisser un brouillard procédural si dense que même le client le plus déterminé finit par perdre sa patience – et son latin.


Prenons par exemple l’article 31, qui exige que les conditions tarifaires soient affichées « de manière visible ».

Dans la réalité, ces documents acquièrent le statut de mythes urbains, des manuscrits sacrés dont l’existence est attestée mais que personne n’a jamais vraiment vus. Une performance d’autant plus admirable que, selon les textes, ces informations devraient être aussi accessibles qu’une publicité pour un nouveau crédit à la consommation.


Et que dire de l'article 33, qui impose « d'informer la clientèle des conditions débitrices, toutes commissions et charges confondues » ?

Une exigence presque utopique dans un système où les banques excellent dans l'art d'inventer de nouvelles commissions tout en les dissimulant jusqu’au moment du prélèvement. Ce n’est pas simplement une faille du système : c’est un choix réfléchi et assumé de sacrifier la transparence au profit de marges confortables.

 

En somme, cette dichotomie entre réglementation et réalité n’est pas un accident.

Elle est le fruit d’un système qui a consciemment choisi l’illégalité comme levier de rentabilité. Ici, chaque article de loi, censé protéger le client, est transformé en un obstacle insurmontable.

Dans cet univers kafkaïen, la protection du client devient un luxe inaccessible, et son ignorance, une ressource à exploiter.


Alors, chers lecteurs, avant de vous aventurer dans le labyrinthe bancaire, une seule règle : ne cherchez pas la logique, car elle s’est perdue dans les méandres de l’opacité.

Et si vous trouvez des réponses, assurez-vous qu’elles ne vous coûtent pas encore plus cher.

Mais ça, c’est une autre équation à résoudre.


À suivre....




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