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Frais et méfaits bancaires - Partie 1

Les Carnets du débiteur : Chroniques d'une spoliation organisée


 

Caricature d’un homme noir en costume, assis à une table de cuisine à Cocody, fixant un relevé bancaire froissé avec une expression de frustration et de lassitude. À ses côtés, une tasse de café refroidi, symbole du temps perdu à tenter de comprendre les mystérieux frais bancaires. En arrière-plan, une fenêtre ouverte laisse entrevoir Cocody, cadre de cette chronique qui dénonce les ponctions bancaires absurdes et le parcours du combattant des clients comme Monsieur K.


Ce matin de fin de mois à Cocody, Monsieur K. fixait son relevé bancaire avec cette sensation familière à tout Ivoirien : celle d'être doucement mais sûrement dépouillé. Son café refroidissait pendant qu'il additionnait, pour la énième fois, des frais dont la simple existence relevait du mystère.

Il scrutait ces lignes qui, chaque mois, amputaient son compte avec la précision d'un chirurgien et l'implacabilité d'un huissier.


D'abord, les classiques.

Son compte « Gold » - une appellation qui promettait le grand luxe mais qui ressemblait davantage à une mine d'or pour la banque - coûtait 70.000 FCFA par an, débités d’un coup sec, sans tambour ni avertissement, et bien sûr, avec la fameuse taxe sur les opérations bancaires de 10 %, ce qui portait la facture à 77.000 FCFA. Une ponction annuelle qui arrivait toujours au mauvais moment, le mois où les factures s’empilaient et où chaque franc comptait.

Et ce n’était que le début.


À cela s’ajoutaient les 5.000 FCFA mensuels de frais de gestion.

Gestion de quoi ?

Mystère.

Peut-être du stockage numérique des données de son compte ou du « suivi » d’un solde qui stagnait désespérément. Évidemment, l'État, fidèle à sa réputation de collecteur zélé, ajoutait sa touche finale : une taxe qui portait ces frais à un total de 5.500 FCFA par mois.

En additionnant tout cela, Monsieur K. se rendait compte qu’il payait une petite fortune juste pour avoir le droit de déposer son salaire. Pas de services extraordinaires, pas de rendement, juste une série de prélèvements qui, petit à petit, donnaient à son compte bancaire des airs de passoire.


Venait ensuite l'abonnement à la banque à distance : 850 FCFA, auxquels s'ajoutaient gracieusement 150 FCFA de taxe étatique. Un total de 1.000 FCFA mensuels pour le privilège de faire soi-même le travail des guichetiers.

« L'innovation technologique », comme ils disent dans leurs publicités rutilantes.

En réalité, nous payons pour faire des économies à notre banque - une prouesse conceptuelle qui mériterait d'être étudiée dans les écoles de commerce.

Mais ce qui fit vraiment tiquer Monsieur K., c'était cette ligne sibylline : « Frais sur transactions e-commerce : 1.500 FCFA ».

Le mois avait été chargé : quelques commandes Glovo pour faire plaisir à sa famille ou déjeuner le midi, des courses Yango pour éviter la négociation quotidienne avec les taxis... Au total, 50.000 FCFA de dépenses en ligne qui lui valaient cette ponction supplémentaire.

La modernité a décidément un goût amer.


« Allô, bonjour. » Sa voix trahissait une lassitude policée, celle qu'on réserve aux batailles qu'on sait déjà perdues. « Je suis client chez vous depuis cinq ans maintenant... Je regarde mon relevé là, et il y a des frais que je ne comprends pas... »

« Oui, Monsieur K., je vous écoute. » Le ton était professionnel, presque chaleureux, mais avec cette pointe de détachement qui annonce déjà les réponses toutes faites.

« Ces frais sur les transactions en ligne... Personne ne m'en avait parlé à l'ouverture du compte. Et puis tous ces autres frais qui s'accumulent... »

« Ah, c'est tout à fait normal, Monsieur. Ce sont les conditions de banque. Vous savez, avoir un compte bancaire, ça a un coût. »

« Je comprends, mais j'aimerais bien voir ces fameuses conditions. C'est possible d'avoir une copie ? »

« Bien sûr ! Il suffit de passer en agence avec une demande écrite. Le directeur d'agence pourra étudier votre requête. »


Trois visites en agence plus tard, entre les « repassez demain » et les « le directeur est en réunion », Monsieur K. naviguait toujours dans les limbes administratifs.

Une semaine devint deux, puis trois.

À chaque visite, une nouvelle explication : « Le service clientèle doit valider », « Il faut voir avec le siège », « Nous attendons la mise à jour »...


Comme tant d'autres avant lui, et tant d'autres après lui, il finit par abandonner.

Son temps, son énergie, et surtout sa patience avaient aussi un prix.

N'était-ce pas là, finalement, la stratégie ?

Cette guerre d'usure subtile, cette résistance passive qui transforme chaque demande légitime en parcours du combattant, jusqu'à ce que la résignation l'emporte sur l'indignation.


Cette chorégraphie du découragement n'est pas le fruit du hasard, mais l'expression la plus aboutie d'un système bancaire qui a élevé l'asymétrie d'information au rang d'art.

Mais ce que Monsieur K. ignore, c'est que cette mécanique d'opacité et d'accumulation des frais est bien plus qu'une exception : elle constitue le cœur même de la stratégie des banques ivoiriennes, à commencer par notre emblématique Egobank.


Dans cette arithmétique particulière, le concept même de transparence tarifaire devient un exercice de haute voltige.

Le système a développé sa propre algèbre où les additions se font toujours au détriment du client, mais où les soustractions de services s'accompagnent paradoxalement de multiplications de frais. Une mathématique non-euclidienne où les parallèles des coûts et des services ne suivent plus aucune logique apparente.


Prenons l’équation de base : un salarié déclaré, comme Aminata ou Monsieur K., doit impérativement disposer d’un compte bancaire pour recevoir son salaire. Jusque-là, tout semble logique.

Mais, surprise ! Les frais de gestion de ce compte s’élèvent à 5.000 FCFA par mois, soit 7 % du SMIC ivoirien (75.000 FCFA). Une jolie ponction mensuelle qui, en d’autres termes, revient à faire payer le droit de toucher son propre salaire.

On comprend mieux pourquoi certains préfèrent les opportunités non déclarées… Après tout, travailler dans l’informel évite d’offrir une part de ses maigres revenus à une banque déjà bien grasse.

Et comme si cela ne suffisait pas, ce compte s’accompagne d’une obligation incontournable : la fameuse carte Visa.

Impossible d’y échapper.

Au minimum, il faudra opter pour la version « standard » – un joli euphémisme – pour la modique somme de 15.000 FCFA par an, bien entendu prélevée sans crier gare.

La question n’est donc pas de savoir si vous en avez besoin, mais à quelle fréquence la banque estime qu’elle mérite de se servir, tout simplement parce que vous existez dans le système formel.

En prenant un instant pour regarder ailleurs, en France par exemple, on pourrait presque croire à une mauvaise blague. Les frais de tenue de compte s’élèvent en moyenne à 20,70 euros par an, tandis qu’une carte Visa standard revient à 45,75 euros. Soit un total de 66,45 euros annuels. Converti en francs CFA, cela représente environ 43.500 FCFA. Presque deux fois moins que les 82.500 FCFA qu’un salarié ivoirien doit débourser.

La différence devient encore plus flagrante si l’on met cela en perspective avec le SMIC français, fixé à 1 801,80 euros (environ 1.176.099 FCFA). Là où un salarié français consacre environ 0,002 % de son salaire minimum pour ses services bancaires de base, son homologue ivoirien se voit amputé de près de 9 % du sien.


En clair, dans notre chère Côte d’Ivoire, accéder à des services bancaires élémentaires coûte non seulement plus cher en valeur absolue, mais représente aussi un sacrifice proportionnel bien plus lourd.

Une démonstration, une fois encore, que dans ce pays, la modernité n’est pas synonyme de progrès pour tous, mais d’un véritable obstacle au développement.

Et pourtant, on continue à nous vendre ces services comme le Graal de l’inclusion financière. Ah, la fameuse « inspiration » tirée de l’ancien colon… Une inspiration qui, hélas, semble toujours mal copiée, mais à prix d’or. Mais ça, ce sera pour d’autres chroniques…


Revenons plutôt à nos réalités locales.

Une fois ces « frais de base » digérés, le véritable festin bancaire commence : taxe étatique de 10 %, frais mensuels de banque à distance, commissions sur opérations…

Le résultat ?

Une fonction exponentielle de coûts, là où les services, eux, peinent à suivre une progression linéaire – et encore, dans le meilleur des cas.


La preuve la plus éclatante de cette mathématique bancaire ivoirienne réside peut-être dans le traitement réservé aux transactions numériques.

Là où la dématérialisation devrait logiquement se traduire par une réduction des coûts - moins de personnel, moins d'agences, moins de paperasse - elle devient mystérieusement un facteur multiplicateur.

Comme si, dans notre système, la réduction des coûts pour la banque devait nécessairement se traduire par une augmentation pour le client.


Cette perversion des mathématiques élémentaires n'est que la partie visible d'une équation plus complexe, une mécanique où l'opacité et la spoliation se renforcent mutuellement. Mais cela, nous le verrons dans la Partie 2.


En attendant, pourquoi ne pas faire comme Monsieur K. ?

Scrutez votre relevé bancaire, additionnez ces 'petites' sommes et posez les bonnes questions à votre banque. Vous pourriez être surpris, non seulement des réponses, mais aussi de leur absence.


À suivre....




2 Comments


Guest
Dec 29, 2024

Hélas c'est partout en Afrique occidentale les banques spolient les clients et l'Etat est complaisant. Je connais un frère qui voulait quitter une banque on lui demande de payer 70000F alors qu'il n 'a pas de prêt à la banque. C'est pathétique

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La Plume Acerbe
La Plume Acerbe
il y a 7 jours
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C'est malheureux, vraiment.

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