top of page

Constitution ivoirienne : liberté proclamée, ambitions servies

  • Photo du rédacteur: La Plume Acerbe
    La Plume Acerbe
  • 3 déc. 2024
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 févr.

#1 Côte d’Ivoire : l’illusion de la liberté d’expression


 

« Tu es courageux(se). Mais est-ce que c’est vraiment une bonne idée ? » Cette phrase, on me l’a répétée plusieurs fois quand j’ai décidé de lancer La Plume Acerbe.

Pourquoi ?

Parce que, dans notre belle Côte d’Ivoire, dire ce qu’on pense n’est pas toujours une garantie de liberté.

Non, ici, critiquer, c’est un peu comme traverser une rue sans feu rouge : on ne sait jamais si on va arriver de l’autre côté ou finir renversé(e). Et bien sûr, si cela vous arrive, inutile de chercher un coupable. Ce sera forcément votre faute. Vous auriez dû savoir que certaines rues sont faites pour être traversées… en silence.


D’ailleurs, on peut même dire que j’entre dans cette précaution puisque j’écris cette chronique avec l’écriture inclusive et que mon identité reste soigneusement dissimulée. Oh, pas par modestie, loin de là.

Mais il faut bien quelques boucliers symboliques face à ce qu’on pourrait appeler, avec une pointe d’ironie, « la démocratie sous haute surveillance ».

Ici, avoir une plume acerbe n’est pas seulement un exercice d’écriture, c’est un sport de combat. Car je sais pertinemment que les sujets sur lesquels j’écris pourraient poser problème au gouvernement. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit quelqu’un s’aventurer à critiquer des mécanismes financiers aussi limpides qu’une boue d’égout ou des priorités politiques aussi bien placées qu’un meuble bancal.

Et soyons honnêtes : si mes chroniques venaient à tomber sous les yeux de certains, il y a fort à parier que leur réaction oscillerait entre la colère contenue et le claquement de porte indigné.


Mais posons la vraie question : est-il anormal de vouloir s’exprimer sur ces choses révoltantes ?

Bien sûr que non. C’est même, dirais-je, une responsabilité.

Parce que dans un pays où la liberté d’expression est fièrement proclamée par l’article 9 de la Constitution, poser des questions sur les choix politiques et économiques devrait être aussi naturel que respirer.

Et pourtant, ici, ce devoir citoyen a plus l’allure d’un sport extrême. Imaginez un saut en parachute, sauf que le harnais n’est pas fourni et que la chute libre est garantie.

Pourquoi ?

Parce que cette fameuse liberté d’expression, bien qu’inscrite dans les textes, est en réalité une sorte de mirage légal.

Elle scintille dans le lointain, mais à mesure que l’on s’en approche, elle s’évapore, remplacée par une multitude de lois et de pratiques qui la cadrent, la limitent et, parfois, la piétinent.


En théorie, l’article 9 est une déclaration de droits.

Mais en pratique, il est conditionné par une petite clause subtile mais redoutable : « dans le respect des lois. »

Et quelles lois, me direz-vous ?

Celles qui transforment une simple opinion en diffamation, une critique en trouble à l’ordre public, et une demande de transparence en provocation.

Des lois si bien ficelées qu’on croirait presque qu’elles ont été conçues pour protéger le pouvoir plutôt que le peuple.

Alors oui, ici, critiquer, c’est un jeu d’équilibriste, un tango avec l’incertitude, où chaque mot, chaque phrase, est une prise de risque calculée.

Mais après tout, si nous ne parlons pas, qui le fera ?

 


La Constitution : entre outil juridique et arme politique

La Constitution, ce texte fondamental censé être le garant ultime de nos droits, a ce talent unique : faire briller de nobles idéaux tout en se pliant, avec une étonnante flexibilité, aux besoins du pouvoir en place.

Un peu comme un couteau suisse : indispensable, polyvalente, mais rarement manié à l’avantage de ceux qu’il est censé protéger.


Prenons celle de 2016.

Présentée comme une étape historique pour la démocratie ivoirienne, elle est vite devenue un chef-d’œuvre d’ingénierie politique. Avec sa fameuse disposition de « remise à zéro des compteurs », elle prétendait offrir un nouveau départ institutionnel. En réalité, elle était calibrée avec une précision presque chirurgicale pour permettre au président, déjà confortablement installé, de prolonger son règne.

Une manœuvre habillée d’un vernis moderne mais qui, en substance, n’avait rien de nouveau.

Et pourquoi s’arrêter là ?

En Côte d’Ivoire, la Constitution semble rédigée à l’encre effaçable.

Quand les circonstances politiques l’exigent, un amendement surgit, une révision s’impose, le tout justifié par le désormais célèbre « intérêt supérieur de la nation ». Une formule magique qui, étrangement, sert toujours les mêmes intérêts.


Regardons l’article 9, par exemple, qui proclame la liberté d’expression.

Sur le papier, il garantit un droit fondamental. Mais cette liberté est soigneusement cadrée par des lois restrictives, qui transforment un droit proclamé en une pratique sous surveillance. Vous pouvez parler, certes, mais uniquement dans un cadre où certaines vérités deviennent inaccessibles et où la critique se cogne à des barrières légales invisibles mais omniprésentes.

Même pour écrire cet article, alors que je me contente de survoler la question sensible des troisième et quatrième mandats, on m’a mis en garde.

« Attention, ici, ce sujet est dangereux.»

Car, dans ce pays, les mots qui interrogent les ambitions du pouvoir peuvent facilement être interprétés comme un acte de défiance, passible de lourdes conséquences.

De nombreuses personnes ont déjà été emprisonnées pour avoir osé poser des questions similaires. Pendant ce temps, la presse internationale, elle, s’en donne à cœur joie, disséquant ces mêmes sujets avec une liberté qui, ici, frise l’utopie.


Cette disparité entre le discours officiel et la réalité est un exemple flagrant de l’hypocrisie législative.

L’article 9 proclame une liberté, mais les lois complémentaires la limitent au point de la rendre méconnaissable. Ce droit fondamental devient alors une coquille vide, où la peur et l’autocensure prennent le pas sur le débat. En Côte d’Ivoire, ce n’est pas seulement ce que vous dites qui est surveillé, mais la simple idée d’oser penser différemment.


Ce n’est pas un hasard.

En Côte d’Ivoire, la Constitution n’est pas ce pilier immuable que l’on imagine.

Elle est plutôt un outil malléable, calibré non pour bâtir une vision à long terme, mais pour répondre aux priorités politiques immédiates.

Sur la scène publique, elle se présente comme la garante des droits fondamentaux, un symbole de démocratie. Mais dans les coulisses, elle s’adapte, se réinvente et sert avant tout à maintenir un équilibre politique qui, par une étrange coïncidence, penche toujours du même côté.


Un texte conçu pour protéger les citoyens ? Peut-être en théorie.

En pratique, il s’agit surtout d’une arme subtile pour consolider les fondations du pouvoir.

Alors, la vraie question est simple : la Constitution est-elle vraiment là pour nous protéger, ou pour protéger ceux qui savent quand et comment réécrire les règles ?


À suivre...




2 Comments


Lopoua
Dec 27, 2024

Merci infiniment pour cette éclairage

Like
La Plume Acerbe
La Plume Acerbe
Dec 27, 2024
Replying to

Merci à vous d'être un lecteur de la Plume !

Like
bottom of page